Croire au développement durable

20/03/2006

Sauver le saumon sauvage de la Loire et développer énergies renouvelables et sobriété énergétique en en levant le barrage de Poutès

Il y a 70 ans, dans un contexte énergétique, politique, économique, culturel et écologique complètement différent de celui d'aujourd'hui était construit la première phase du complexe de barrages de Poutès-Monistrol, sur le Haut Allier. L'ensemble était composé de deux petits ouvrages édifié sur un affluent de l'Allier, l'Ance du Sud, n'entraînant pas de dommages écologiques majeurs. Il était complété, en pleine guerre mondiale, par l'édification d'un grand barrage de 18 mètres de hauteur, directement sur le cours de l'Allier, ouvrage dont le principe était contesté depuis l'origine, car il menaçait l'avenir de la dernière population de grands saumons du bassin de la Loire, remontant encore par dizaines de milliers sur les frayères du haut bassin. Le temps de guerre ne prêtait évidemment pas au moindre débat, l'ouvrage était édifié et le déclin définitif du saumon débutait. En 1990, il ne restait qu'une centaine d'individus à remonter encore, à force de ténacité, sur les frayères du Haut Allier, sur une population estimée à l'origine à 100 000 poissons. Une réduction d'un facteur 1000, et une espèce prestigieuse, qui avait entraîné un formidable développement touristique et économique sur la rivière Allier dans la première moitié du XXème siècle, au bord de l'extinction.

Aujourd'hui, grâce aux efforts du Plan Loire Grandeur Nature, qui a relayé l'opposition de Loire Vivante aux nouveaux grands barrages prévus sur le fleuve Loire, l'extinction a pu être évitée de justesse. Il remonte environ, annuellement, 500 à 600 saumons sur les frayères du Haut-Allier. C'est insuffisant pour les scientifiques, qui estiment que le seuil de conservation tourne autour de 3000 poissons, mais c'est une nette amélioration et un réel succès pour la conservation de la biodiversité dans notre pays. L'enlèvement de deux petits barrages, St Etienne du Vigan et Maisons Rouges ; la suspension de la pêche, l'équipement en passes à poissons fonctionnelles des barrages indispensables, la construction d'une salmoniculture de repeuplement à Chanteuges, en Haute-Loire, outil unique en Europe de par ses dimensions, tout cela a permis, dans le cadre du Plan Loire Grandeur Nature, de sauver provisoirement le Saumon de la Loire.

Qui n'est pas n'importe quel poisson : c'est en effet le dernier saumon de longue migration de toute l'Europe de l'Ouest, le dernier à faire près de 1000 kilomètres en eau douce, celui sur lequel reposent tous les espoirs de reconstitution de populations dans les grands fleuves de France (Dordogne, Garonne, Seine) et d'Europe (Rhin, Meuse), d'où il a disparu, suite à la construction des grands barrages. Car le premier adversaire des saumons, le première cause de sa disparition, partout sur les rivières, c'est cela, les grands barrages, qui produisent certes une électricité renouvelable, mais qui causent des dommages considérables aux écosystèmes d'eau courante, par exemple en supprimant les populations de poissons migrateurs : saumons, anguilles, aloses, esturgeons, lamproies, autant de richesses renouvelables que, jusqu'à présent, notre pays a singulièrement négligées.

Alors Poutès ? L'ensemble du site, concédé à EDF, doit renouveler sa concession en 2007. Une trentaine d'associations, dont le WWF, l'Union Nationale de la Pêche en France, les Amis de la Terre, Anper TOS, SOS Loire Vivante, soutenus par la Fondation Nature et découvertes, l'entreprise Patagonia ont lancé une campagne, en 2004 pour que le seul ouvrage sur l'Allier soit enlevé. Il produit environ 52 GWh, soit, pour simplifier, l'équivalent de l'alimentation d'une ville de 20 000 habitants, ou encore environ 1/10 000éme de la production électrique nationale. Marginal. Son électricité est certes renouvelable, mais la première phase d'une étude diligentée par le WWF, réalisé par le bureau d'étude « Energie demain1», montre que le gisement de production des autres énergies renouvelables sur le secteur, éolien, solaire, bois énergie et le potentiel de sobriété énergétique est de 166 GWh, soit trois fois la production de l'ouvrage. Une ferme éolienne de 39 MW, la plus grande de France, vient d'ailleurs d'être inaugurée à Ally, à quelques dizaines de kilomètres de Poutès, en octobre dernier. Soutenue par les habitants, les élus locaux, le WWF, elle va produire annuellement 78 GWh, soit une fois ½ Poutès : une partie de la solution alternative est déjà là. Une autre ferme éolienne de 12 MW est en chantier, juste au dessus de la retenue, à St Jean Lachalm. Les solutions ne manquent pas.

Il reste trois obstacles. Un de nature économique : comment générer la taxe professionnelle pour les communes, en particulier Monistrol d'Allier, qui bénéficient des retombées de l'ouvrage sur l'Allier ? Comment donc, plus largement, donner de la valeur économique à la protection de la biodiversité, protection pour lequel notre pays a adopté une « Stratégie Nationale de la Biodiversité » en 2004 qu'il va bien falloir mettre en œuvre concrètement. Un de nature politique : comment convaincre les élus locaux, par delà la dimension de la perte de la taxe, qu'il faut innover, s'adapter au XXIème siècle, valoriser de nouvelles ressources, comme la pêche au saumon, accepter des processus participatifs, inventer d'autres chemins ? Nous sommes là dans un problème de démocratie bien française, et, pour l'instant, les élus de Haute-Loire, les élus en général, ont du mal à admettre que débattre autour de l'avenir d'un grand ouvrage, avec la société civile, est une nécessité. Une bonne nouvelle cependant : les élus de l?EPL2 viennent d'accepter de financer la deuxième phase de l'étude sur les alternatives énergétiques qu'a mis en œuvre le WWF. Et un dernier de nature pratique, culturelle, sociétale : comment mettre en œuvre l'enlèvement, la substitution, concrètement, en impliquant tous les acteurs locaux et EDF? Sans gagnant ni perdant ? C'est ce que propose la deuxième phase de l'étude. Comment construire l'effacement du barrage, dans un pays qui n'a pas de culture de débat, encore moins de débat sur l'énergie, avec une grande entreprise, EDF, qui n'a pas encore bien intégré les enjeux de l'électricité verte, de la conciliation des usages ? Comment, concrètement, avancer dans une France qui n'a pas assez saisi l'importance de la Directive Cadre sur l'eau, un texte novateur qui impose aux Etats d'aller vers le « bon état écologique », donc forcément vers la restauration des milieux aquatiques, abondamment fragmentés dans notre pays ?

Alors ? Ouvrons le débat autour de Poutès, largement. N'ayons pas peur de discuter, de poser les vraies questions. Sortons des débats confinés, franco-français, réglés dans l'enceinte feutrée des cabinets ou des services de l'État. N'ayons pas peur de la participation du public, des ONG, comme cela se fait couramment chez nos voisins européens. Et plaçons la barre à la bonne hauteur, en assumant nos responsabilités en matière de conservation du Saumon atlantique, de la biodiversité. Si l'on prend au sérieux les engagements du Président de la République, si nous respectons les contraintes imposées par l'Union Européenne en matière de respect de l'environnement, si nous voulons rester à la hauteur de l'esprit et de l'ambition du Plan Loire Grandeur Nature, le premier (et unique à ce jour) plan de gestion durable d'un fleuve dans notre pays, il est indispensable d'effacer Poutès. Ensemble.

Pour France Ecologie : Martin Arnould - WWF - Chargé de programme Rivières Vivantes