Pour une écologie joyeuse
Par Dominique Julien-Labruyère - Vice-président de France Ecologie
L'écologie politique surfe régulièrement sur les grands démons de notre époque et entretient la peur. Comme pour les gaulois qui craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête, l'angoisse du futur transcende les époques en prenant, à chaque fois, des formes différentes, elle demeure omniprésente dans toutes les couches de la population. Quand notre monde ne va pas, que les problèmes sont légion et qu'ils apparaissent quasiment insolubles, il est logique de voir se lever des groupes organisés pour tenter de répondre à cette inquiétude.
La contestation et le refus de l'inéluctable, face aux lobbies trop peu soucieux de la qualité de la vie, sont inscrits dans l'évolution normale de nos sociétés. Les mouvements des indignés, qui se développent un peu partout, montrent bien l'inadéquation entre gouvernants et gouvernés. Si l'exaspération grandit aussi vite c'est que le modèle universel actuel ne permet plus de croire à la venue d'un monde meilleur.
Mais pour autant, les choix et décisions qui nous concernent sont encore trop souvent à mille lieux de ces préoccupations journalières. C'est un peu comme si, seuls les citoyens commençaient à s'approcher de la sagesse quand leurs dirigeants s'en éloignaient régulièrement. Il s'agit d'un phénomène commun à tous les pays qu'ils soient développés ou émergeants. En France la classe politique a du mal à se renouveler, trop préoccupée par sa propre réélection, elle ne prend pas en compte sérieusement ces préoccupations pourtant essentielles. Notre système électoral n'est pas vraiment démocratique, dans la mesure où les élections sont à deux tours et non à la proportionnelle. Les cumuls de mandats et la possibilité de se représenter à vie, sauf pour le président de la République, n'encouragent pas les alternances et le financement de ces mêmes partis politiques par l'impôt selon les résultats des précédentes élections empêche la création de nouvelles entités. Dans ces conditions, il est normal que les idées nouvelles issues de la diversité de la nation soient si peu représentées.
Ce système vit sur lui-même, il multiplie les échelons administratifs et réalise une bureaucratie excédentaire et ruineuse. Cette société s'impose là où celles et ceux qui pourraient la changer sont justement celles et ceux qui en profitent le plus. C'est un peu comme si l'ancien régime avait retrouvé une nouvelle vie dans une démocratie figée où la noblesse serait remplacée par cette oligarchie élective qui n'est pas prête à se réformer et où les Royaumes se seraient simplement collés à nos Républiques d'aujourd'hui sans avoir songé à revoir leurs frontières.
L'engouement pour la protection de la nature n'a donc que peu d'influence sur les gouvernements et leur corolaire, les centres de décision économiques. Le Grenelle de l'environnement a pourtant mis en lumière le besoin de démocratie directe, auquel nous aspirons tous. Les espoirs induits par cette aventure ont modifié bien des comportements, mais les applications pratiques tardent à voir le jour. Alors que l'accès à une écologie de proximité, dans notre pays où les sites, les paysages et la biodiversité sont aussi exceptionnels, est évident.
La Commission nationale du débat public a permis de développer une nouvelle culture de la participation citoyenne. L'organisation du débat, la possibilité d'intervenir pour chacun quelque-soit son statut public ou privé, motive plus que les enquêtes publiques traditionnelles, trop coûteuses et si peu suivies. L'idée de réaliser des débats publics réguliers, avec une finalité participative pour l'après débat, comme cela a été prévu - dans l'engagement N°189 du Grenelle de l'environnement -, serait déjà une réponse.
L'écologie, même avec ses excès, permet quelquefois d'éviter des drames. Pour que les grands thèmes environnementaux figurent un jour en bonne place dans les actions quotidiennes des gouvernements, il faudra qu'ils s'imposent d'eux-mêmes. La transformation écologique de l'économie, des transports et de l'énergie, l'abandon, un jour, du tout nucléaire et la mise en place progressive d'énergies renouvelables sont inévitables. La réorientation de l'agriculture, la protection de la nature et de la biodiversité doivent trouver une nouvelle voie. Le frein à la mondialisation financière ainsi que le renouveau démocratique et les initiatives citoyennes sont également concernés.
Les grandes messes contestataires sont toujours réalisées avec un accompagnement festif. L'écologie, pour exister de manière durable dans tous les esprits, doit donc être abordée de manière radieuse et attirante. Elle oblige déjà à repenser notre type de développement, elle entre dans notre quotidien, elle s'insinue dans nos vies sans que l'on n'y prenne garde.
Nous trions nos déchets, nous recherchons une nourriture plus saine, nous voulons maîtriser nos consommations d'énergie, nous isolons nos maisons, nous privilégions les transports en commun, nous roulons en vélo, nous respectons la nature, nous protégeons les animaux, nous utilisons des emballages biodégradables, bref, nous sommes tous devenus écologistes sans le savoir.
Dans les hypermarchés, un caddy sur huit contient au moins un produit bio ou vert et dans un environnement de consommation alimentaire globalement morose, la croissance du bio est explosive, plus de 10 % par an.
La qualité de la vie n'est pas autre chose que le désir d'évoluer le plus vite possible vers une sorte d'éden terrestre. Notre existence est un bien précieux, la défendre est donc essentiel. Une pratique de l'écologie joyeuse, allègre et entraînante peut seule, générer cette nouvelle société.
En recherchant dans tous les actes de la vie courante ce qui apparaît comme les bonnes pratiques du développement durable, chacun d'entre nous deviendrait l'ambassadeur d'une écologie prometteuse. Ainsi la demande de qualité serait portée par une messe joyeuse mais déterminée, capable de faire trembler les fondations de ce monde du veau d'or qui a fait son temps.
La mise en place de cette action fondatrice n'a pas besoin de système organisé, de leader ou de porte-drapeau. Elle peut s'exprimer librement et devenir la règle commune sans contraintes, en s'inscrivant dans une action locale qui de proche en proche deviendrait globale. Cette valeur universelle doit être portée par le plus grand nombre dans une allégresse communicative, symbole d'un futur prospère sur une terre enfin protégée.
Le refus de ce qui est présenté comme inévitable peut donc trouver son expression dans un cadre pacifique. Seules des populations guidées par ces idées fédératrices pourraient infléchir la marche du temps. L'écologie joyeuse est d'essence humaniste car elle exprime le souhait d'une vie meilleure pour tous.
Dominique Julien-Labruyère - Vice-président de France Ecologie